Tout le monde aime les Irlandais, et les Québécois ne font pas exception à la règle. Mes années dans la Belle Province* ont été infiniment plus faciles du fait que j’étais ” un Irlandais “* plutôt qu'” un Anglais “*. Le ministre pour qui je travaillais au sein du gouvernement québécois, Robert Burns, a été amèrement déçu lorsque j’ai fait savoir que son nom était écossais, et non pas irlandais comme il l’avait cru longtemps.
Mais jusqu’à récemment, je n’avais jamais songé aux leçons que le Québec pouvait tirer de l’expérience irlandaise. Mon institut a célébré dernièrement son 10e anniversaire par un banquet à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. Notre conférencier invité était Garret FitzGerald, l’un des grands architectes des réformes politiques qui ont transformé la République irlandaise en ” tigre celtique “.
L’un des thèmes récurrents des travaux de mon institut a été que la politique fédérale d’octroi de subventions massives aux provinces canadiennes de l’Atlantique a été un empêchement majeur au développement de la région. Dans mes remarques au banquet, j’ai fait mention des nombreux livres et articles que nous avons produits sur ce thème, y compris plusieurs qui nous ont valu des grands prix internationaux.
Imaginez mon étonnement lorsque l’ancien premier ministre FitzGerald a spontanément repris ce thème au cours de son allocution.
Il dit d’abord que ses oreilles se sont dressées lorsqu’il a entendu parler de subventions. Pourquoi? Parce que les raisons incitant les Irlandais à vouloir l’indépendance tenaient à des questions politiques et culturelles. Mais, poursuivit-il, ” en fait, la chose la plus importante, quand on repense à ces événements, ce fut que nous nous sommes séparés des Britanniques avant qu’ils commencent à nous subventionner “.
Aux jours les plus noirs de la domination britannique, selon M. FitzGerald, de 2 à 5 % du PIB de l’Irlande prenaient le chemin de l’Angleterre chaque année. Puis survinrent les débuts de l’État-providence, avec notamment la mise sur pied du régime des pensions de vieillesse par Lloyd George, en 1908. À titre de partie intégrante du Royaume-Uni, l’Irlande était admissible à nombre de ces prestations embryonnaires.
Bien-être social
Lorsque l’indépendance survint en 1922, explique M. FitzGerald (qui se décrit comme étant social-démocrate), les Britanniques subventionnaient les Irlandais dans une modeste mesure par le truchement du bien-être social, des indemnités de chômage et de pensions.
” Nous sommes sortis avant la mise en place de l’État-providence, dit-il. Si nous ne l’avions pas fait, le prix à payer pour partir aurait été entre 10 et 15 milliards de livres pour un petit pays. Et je ne crois pas que nous aurions eu le courage de nous séparer. Alors, en fait, en nous séparant, nous avons obtenu la capacité de développer notre économie et de bâtir un État prospère plutôt que de demeurer simplement un élément dépendant du Royaume-Uni. ”
Il a poursuivi en faisant remarquer que l’Irlande du Nord est demeurée au sein du Royaume-Uni et qu’elle a été réduite à un état de dépendance. Même s’ils réussissaient à régler leurs autres problèmes, comme leur histoire de violence et de luttes sectaires par exemple, les habitants de l’Irlande du Nord ” devront trouver le moyen de développer à nouveau une économie qui fut jadis prospère, viable et autosuffisante parce qu’elle est devenue si débilitée par l’étendue des subventions, tout comme ce fut le cas en Allemagne de l’Est “, a estimé M. FitzGerald.
En écoutant l’ancien premier ministre irlandais exposer si éloquemment comment la République d’Irlande avait échappé au sort de l’Irlande du Nord par un simple accident temporel, je ne pouvais m’empêcher de penser au mouvement souverainiste au Québec. Il est assurément curieux qu’un mouvement voué exactement à la sorte de renouveau et d’indépendance politique et culturelle que visait l’Irlande il y a un siècle en soit maintenant réduit à jouer tout simplement les maîtres des enchères de l’aide sociale, critiquant Ottawa pour sa pingrerie en matière d’assurance emploi et de programmes de développement régional, pour ne citer que deux exemples.
Comme l’a démontré la propre expérience du Parti québécois dans des exemples tels que le projet de Gaspésia, de tels programmes, dans leur ensemble, nuisent à l’économie et créent de la dépendance, et non pas de la vitalité économique. Le message de l’ancien premier ministre FitzGerald au Québec peut se résumer ainsi: favoriser la dépendance n’est pas la recette assurée pour l’indépendance.
* En français dans le texte
Brian Lee Crowley
est président de Atlantic Institute for Market Studies (www.aims.ca)un groupe de réflexion sur la politique publique basé à Halifax.