Si la classe politique québécoise ne devait lire qu’un ouvrage canadien cet automne pour prendre le pouls, changeant, de la relation Canada-Québec, ce devrait être Fearful Symmetry de l’économiste Brian Lee Crowley.
Le livre vient tout juste de paraître et il fait déjà figure d’incontournable aux yeux de bien des penseurs du ROC. Il est voué à alimenter les réflexions dans les cercles qui gravitent autour du Parti conservateur fédéral. À moins que cela ne soit déjà fait, il est destiné à atterrir sur la table de chevet du premier ministre Stephen Harper. Et il va déranger bien des Québécois.
Car, paradoxalement, au moment où l’école de pensée souverainiste, selon laquelle le statut de province du Québec est la principale cause de ses problèmes structurels, connaît un certain déclin, un pendant canadien – qui voit l’influence québécoise sur la fédération comme la source de profondes déviances pancanadiennes – est en pleine ascension.
À ce chapitre, Fearful Symmetry est, de loin, l’exemple le plus articulé d’un courant d’opinion qui s’amplifie au Canada et selon lequel le Québec est un boulet qui a empêché et qui empêche toujours la fédération canadienne de réaliser son plein potentiel. Pour l’auteur, il est temps de lâcher du lest.
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En gros, l’ouvrage argue que quarante années d’efforts fédéraux pour contrer la souveraineté ont amené le Canada à abandonner ses valeurs fondamentales. Selon Crowley, la surenchère entre Ottawa et Québec pour l’adhésion des Québécois à leurs projets nationaux respectifs et le désir inévitable de symétrie interprovinciale en matière de programmes a engendré une culture de dépendance étatique pancanadienne.
La liste des perversions que dresse Crowley est exhaustive. Elle inclut même l’abandon de la famille comme institution centrale de la société canadienne. À ce chapitre, il préconise la restauration (sauf dans les cas de force majeure) de l’indissolubilité du mariage pour les couples qui voudraient avoir des enfants.
Mais, sur le plan politique, c’est l’union sociale canadienne qui est vraiment dans la mire de l’auteur. Selon Crowley, le welfare state canadien est un dommage collatéral de l’arrivée sur le marché du travail de la génération des baby-boomers et de l’éclosion simultanée du mouvement souverainiste québécois.
Avec le vieillissement des premiers et, surtout, avec le déclin du poids démographique du Québec et la perte de vitesse de son élan nationaliste, il affirme que le temps est venu de remettre les pendules à l’heure.
Pour ce faire, Crowley abolirait les transferts sociaux aux provinces, pour les forcer à financer leurs choix sociaux selon leurs propres moyens – quitte à leur céder, pour ce faire, le champ de la TPS. Il réduirait à sa plus simple expression le rôle de redistribution du gouvernement fédéral pour recentrer son activité sur la direction de l’union économique.
Crowley croit, avec raison, qu’une telle dévolution toucherait la corde sensible autonomiste québécoise et qu’elle serait donc bien reçue. Mais il estime également que ce régime rendrait, à terme, le fardeau financier du modèle québécois insoutenable.
Pour appuyer ces pronostics, l’auteur prend parfois des raccourcis. Sous sa plume par exemple, les avancées économiques du Québec sont aussi temporaires que les reculs actuels de l’Ontario. Dans tous les scénarios néanmoins, l’essentiel, à ses yeux, serait que le Québec ne puisse plus ralentir ou changer le cours de la locomotive canadienne puisqu’il évoluerait sur une voie de garage.
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Crowley suppose qu’une majorité de Canadiens hors Québec sont susceptibles d’être ou de devenir aussi convaincus que lui que l’évolution de la fédération canadienne des quarante dernières années et les institutions qui en découlent constituent une longue série d’erreurs de parcours. C’est la grande faiblesse de ses prescriptions.
Nonobstant le sentiment de l’auteur selon lequel le Canada aurait sacrifié inutilement ses symboles historiques sur l’autel des concessions aux Québécois, peu de Canadiens regrettent d’avoir échangé le Red Ensign pour l’unifolié ou le God Save The Queen pour l’Ô Canada.
L’attachement des Canadiens hors Québec au concept d’un gouvernement fédéral activiste ne découle pas d’un désir de faire plaisir au Québec, mais plutôt de l’idée, tenace, qu’ils se font du rôle de leur État national. Quand il est question d’assurance maladie, l’attachement au filet social canadien prend même des allures de culte.
Aux dernières élections fédérales, une majorité d’électeurs ont appuyé des partis qui prônaient le maintien et l’élargissement de ce filet dans toutes les régions, exception faite des Prairies.
Mais il est également vrai que la division de ce vote entre plusieurs formations, combinée à l’absence de plus en plus chronique du Québec de la table progressiste fédéraliste à Ottawa, va finir par faire pencher le balancier vers la déconstruction du Canada social que prône Crowley. Cela pourrait survenir dès les prochaines élections fédérales, avec l’avènement possible d’un gouvernement majoritaire conservateur enraciné partout sauf au Québec.