May 16, 2004
La Presse
Forum, dimanche 16 mai 2004, p. A10
Où est l’intérêt public?
By Brian Lee Crowley
Ceux qui se réjouissent à la perspective d’un gouvernement minoritaire à Ottawa devraient faire bien attention
Si les résultats actuels des sondages peuvent nous fournir des pistes utiles, l’élection d’un gouvernement minoritaire est une éventualité aussi plausible qu’une autre au terme de la bataille qu’aura finalement décidé de déclencher Paul Martin.
Les gouvernements minoritaires sont le rêve de ceux qui mangent de la politique et c’est pourquoi les intellectuels qui s’écoutent parler les adorent. Mais ils confondent leur propre plaisir avec l’intérêt public.
Les gouvernements minoritaires s’accompagnent d’intenses moments de drame parce que, par définition, de tels gouvernements sont tributaires du soutien mouvant des autres partis, dont l’intérêt à long terme est de défaire le gouvernement et non pas de le soutenir.
Cela se traduit par du suspense à revendre à propos des budgets, des discours du Trône et des grands projets de loi. John Diefenbaker a transformé un bref gouvernement minoritaire en rampe de lancement vers l’une des victoires électorales les plus écrasantes de l’histoire canadienne. Par contraste, Joe Clark a réduit son gouvernement minoritaire à un petit rôle d’arrière-plan dans l’histoire en raison de sa gestion maladroite des Communes.
Cet émoi et cette fascination masquent cependant la plus importante caractéristique d’un gouvernement minoritaire: la confusion au chapitre de la responsabilité et de l’obligation de rendre des comptes.
Spectacle navrant
Pour preuve, il n’y a qu’à observer la législature minoritaire qui offre un spectacle navrant à Province House, en Nouvelle-Écosse.
Notre système parlementaire a cette grande qualité de conférer un pouvoir politique clair et sans partage à un parti politique au terme d’élections, sauf dans des circonstances plutôt inhabituelles. Pourquoi est-ce important? Parce qu’aux élections suivantes, les électeurs auront un choix très net: ou bien redonner le pouvoir à ceux qui ont eu le contrôle non équivoque sur les affaires publiques au cours des quatre dernières années ou bien les évincer en faveur d’une autre équipe qui suscite une plus grande confiance.
Il n’y a aucun malentendu sur l’identité des personnes qui doivent assumer la responsabilité de ce qui s’est passé et les partis sont encouragés à trouver des moyens de se distinguer des autres, fournissant ainsi à l’électorat des choix raisonnablement nets de personnel, de stratégie et de priorités.
Mais dans un gouvernement minoritaire, les choses se passent de façon bien différente. La différence la plus importante tient au fait qu’un gouvernement qui souhaite demeurer au pouvoir et qui fait face à une opposition nullement alarmée par la perspective d’élections perd le pouvoir de dire non. Et le pouvoir de dire non est au moins aussi important que le pouvoir de dire oui dans un système de gouvernement intelligent.
Lorsque vous êtes le premier ministre d’un gouvernement majoritaire, chaque décision que vous prenez vous définit et définit votre gouvernement en opposition aux autres partis. Vous faites vos choix et votre réputation se bâtit en conséquence. L’opposition vous critique en raison de ces choix. Elle devient connue pour les solutions de rechange qu’elle propose. Mais les gouvernements minoritaires sont toujours en train de négocier avec les autres partis en vue du prochain vote au parlement. Le maquignonnage en coulisses prospère. Les partis d’opposition obligent le gouvernement à renoncer à certaines de ses priorités au profit des leurs.
En Nouvelle-Écosse, par exemple, la grande politique du présent gouvernement portait sur la rigueur fiscale couronnée par une baisse d’impôts au cours de la quatrième année de son dernier mandat. Au cours des élections l’an dernier, les néo-démocrates et les libéraux avaient des positions différentes sur les baisses d’impôts, les dépenses publiques et une foule d’autres questions. Ils ont été incapables de renverser le gouvernement, mais ils ont réussi à le rendre minoritaire, par un seul siège.
Résultat? Lors du budget post-élections, le parti qui réclamait une hausse des dépenses a obtenu ce qu’il avait promis. Le parti qui avait promis des réductions d’impôts plus modestes a obtenu une bonne partie de ce qu’il avait promis. Malheureusement, ni l’un ni l’autre n’a remporté les élections. Ces concessions ont été imposées au gouvernement, qui ne voulait ni l’une ni l’autre. Son programme est en lambeaux et la réputation du premier ministre, un honorable médecin de campagne nommé John Hamm, est ruinée.
Alors, lorsque les prochaines élections seront déclenchées, comme ce sera certainement le cas l’an prochain ou dans ces eaux-là, la position de chaque parti aura été compromise, ce qui obscurcira totalement le choix des électeurs. Chaque parti est en partie responsable de la confusion actuelle et aucun parti n’est responsable de manière non équivoque.
Alors, ceux qui se réjouissent à la perspective d’un gouvernement minoritaire à Ottawa devraient faire bien attention à leurs souhaits.