La Presse
En raison d’une combinaison de facteurs tels que l’augmentation de la richesse, la population en hausse et des techniques plus poussées, le lien même que les humains entretiennent avec les océans se trouve fondamentalement modifié. L’aquaculture illustre cette mutation mieux que toute autre activité. Partie de rien, elle est devenue l’an dernier une industrie de 30 milliards de dollars américains à l’échelle planétaire.
Récemment, le prestigieux magazine The Economist en a fait son article-vedette sous le titre de “La révolution bleue”. L’idée était de suggérer un parallèle avec la révolution verte, qui a provoqué une colossale augmentation de la production agricole dans le monde de même qu’une hausse notable de son efficacité à la fin du siècle dernier.
L’aquaculture est appelée à devenir une industrie lucrative et vigoureuse sur les côtes canadiennes. Cependant, “clôturer” cette dernière frontière s’avère difficile en raison d’un régime de droits de propriété conçu pour la pêche des poissons sauvages plutôt que pour l’agriculture, à laquelle l’aquaculture ressemble davantage.
L’établissement de droits de propriété de style agricole pour l’aquaculture se heurte à deux obstacles principaux. En premier lieu, l’évolution du front pionnier en agriculture s’est déroulée comme si l’on prenait pour acquis (à tort, comme nous le comprenons maintenant, car les aborigènes étaient là et ils avaient des droits dont les Européens ont tenu bien peu compte) que le territoire était vide et que l’on n’avait qu’à en prendre possession. Mais aujourd’hui, l’aquaculture fait face à des titres de propriété antérieurs et à des droits d’utilisation (de la part des autochtones, des adeptes de l’utilisation ludique, des pêcheurs utilisant des méthodes traditionnelles, par exemple) dans les eaux côtières.
En deuxième lieu, à la différence des terres agricoles dont la propriété a été transférée à des fermiers particuliers, l’État continue de posséder le plancher océanique, la colonne d’eau et la surface de l’eau. Dans les faits, les poissons appartiennent à l’éleveur de poissons mais pas la ferme piscicole. Les gouvernements imposent leur volonté de manière arbitraire sur les exploitants de fermes piscicoles et toutes les pressions s’exercent sur les politiciens pour qu’ils cèdent à des intérêts particuliers et à de l’opportunisme politique qu’une telle relation implique.
Si la discrétion administrative peut s’exercer de manière si ample en matière d’aquaculture, c’est en partie parce qu’il n’existe pas de statuts fédéraux ou provinciaux au Canada touchant cette pratique. La jurisprudence est également peu abondante dans ce domaine. Il n’y a pas de limite légale sur le gouvernement et sur la discrétion administrative, aucun droit de poursuivre le gouvernement devant un tribunal, et aucun droit que le gouvernement lui-même est tenu de protéger.
Des exploitants de fermes piscicoles ont été arrêtés par des représentants du gouvernement pour “pêche illégale” alors qu’ils recueillaient des animaux qui existaient principalement en raison de l’élevage auquel avaient travaillé ces mêmes exploitants. La police a refusé de porter des accusations de vol contre des gens qui s’en sont pris à leur cheptel piscicole parce que leurs droits de propriété sont si flous qu’il n’est pas tout à fait clair qu’ils possèdent ce qu’on leur a volé même si, on le répète, ces animaux existent principalement à cause du travail et de l’investissement financier consentis par les aquaculteurs.
En raison de la précarité de leurs droits de propriété sur les animaux et sur leur ferme, les aquaculteurs font face à d’énormes problèmes pour obtenir du financement adéquat et des assurances. Cela signifie que nous gaspillons une grande capacité de production dans les océans. Dans les faits, l’aquaculture canadienne est contrôlée par une bureaucratie inepte et lourde, ne voyant que le développement économique à court terme et disposant d’un pouvoir discrétionnaire qui plie volontiers devant la force politique d’intérêts établis.
Des pays comme le Chili ont fait beaucoup mieux et ils ont créé l’une des plus importantes industries d’aquaculture dans le monde. Le Chili, par exemple, octroie des licences et des baux qui accordent aux aquaculteurs des droits de propriété privée virtuels là où ils exercent leur activité.
Selon une récente étude produite par un économiste universitaire pour mon institut, pour que l’aquaculture canadienne croisse, pour qu’elle crée de la prospérité et des emplois spécialisés dans les collectivités côtières pauvres et pour qu’elle nourrisse une plus grande partie de la population humaine, elle doit disposer de droits de propriété sûrs sur la zone littorale, la colonne d’eau et le plancher océanique, droits idéalement incorporés dans une loi nationale sur l’aquaculture et soutenus par les tribunaux. La loi devrait aussi prévoir des mesures appropriées de protection de l’environnement ainsi que des droits touchant les autres usages des ressources océanes. Cette industrie n’a pas besoin d’encore plus d’incompétence économique et d’inefficacité gouvernementales ni de décisions arbitraires rendues par des bureaucrates. On demande M. Paul Martin.
Brian Lee Crowley