D’un Canada à l’autre
Des milliards sont en jeu
Que feront la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve des énormes gains provenant du pétrole et du gaz au large des côtes?
Brian Lee Crowley
Les premiers ministres de la Nouvelle-Écosse ainsi que de Terre-Neuve et Labrador, John Hamm et Danny Williams, tiennent fermement à ce que le gouvernement fédéral cesse d’utiliser la formule de péréquation afin de récupérer le gros des revenus provenant du pétrole et du gaz au large des côtes. Ayant bien joué leurs cartes politiques, ils devraient probablement remporter cette bataille, mais peut-être pas dans tous ses aspects.
Mais la question encore plus importante qui se pose est celle-ci: que faire de l’argent une fois que vous l’avez obtenu?
Aux yeux des gens qui n’ont jamais vu un programme de dépenses gouvernementales qu’ils n’ont pas aimé, la question paraît absurde. Pourquoi ne pas le consacrer tout simplement aux écoles, aux soins de santé et aux routes?
C’est que les revenus tirés des ressources naturelles comportent des caractéristiques très particulières. Selon un ancien ministre des Finances de l’Alberta, les revenus des ressources naturelles non renouvelables sont des revenus peu sûrs. Les prix de ces produits peuvent fluctuer énormément. Il y a quelques années, le journal The Economist, observateur bien informé de la scène économique mondiale, prédisait que le baril de pétrole se vendrait 10 $. Aujourd’hui, le pétrole se transige dangereusement près de la barre des 50 $ le baril.
Il en va de même pour le gaz naturel. En Alberta, chaque fluctuation de 10 cents du prix du gaz naturel signifie 142 millions de dollars en plus ou en moins à dépenser. Et ce prix peut osciller à la hausse ou à la baisse de plusieurs dollars sur une période de quelques mois. Des revenus peu sûrs, en effet.
Les dépenses gouvernementales sont d’une tout autre nature.
Elles sont hautement prévisibles. Lorsque les gouvernements dépensent, ils embauchent des professeurs, ou des inspecteurs de restaurants, ou des chirurgiens ou encore des administrateurs de musée. Ces personnes s’attendent à être payées chaque année, bon an mal an. Elles prévoient toucher des augmentations de salaire annuelles, obtenir de meilleures conditions de travail, des avantages sociaux et des pensions. Il faut leur fournir un lieu de travail, ce qui signifie qu’il faut des édifices, de même que de l’électricité, du chauffage, des services d’entretien et autres.
Et bien sûr, ces employés font partie de forts syndicats et leurs conventions sont inflexibles. Ils resteront de pierre à la table de négociations si le gouvernement invoque la pauvreté en raison des bas prix des ressources naturelles. Mais si ces prix (et par conséquent les revenus du gouvernement) sont élevés, ces personnes s’attendent certainement à toucher une part du gâteau.
Les engagements de dépenses lorsque les prix sont élevés ne peuvent pas être maintenus lorsque les prix chutent. Il ne fait aucun doute que la vigueur du conflit entre Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse et Ottawa est attribuable en grande partie aux prix élevés que les ressources au large des côtes obtiennent sur le marché. Les provinces veulent être en mesure de dépenser ces revenus. Mais à moins qu’elles n’agissent avec prudence et mesure, elles planteront tout simplement les graines de coupes budgétaires pénibles et draconiennes lorsque surviendra l’inévitable effondrement des prix.
Mais ce n’est pas tout. Les revenus tirés des ressources naturelles représentent la vente d’actifs de capital naturel. Cette dotation naturelle appartient à chaque résidant de la province, y compris à ceux qui ne sont pas encore nés. Ce serait une erreur terrible et tragique que de la dilapider en dépenses ordinaires. Il faut la traiter comme du capital et la réinvestir pour qu’elle produise des bénéfices sur une longue période.
Cela signifie qu’elle doit servir exclusivement à deux fins. L’une d’elles est la réduction de la dette. Lorsque vous êtes très endetté, comme le sont les Canadiens des Provinces atlantiques, il est logique de vendre des actifs pour réduire les paiements d’intérêts et de libérer vos revenus pour les consacrer à des fins plus productives.
L’autre avenue consiste à créer un fonds du patrimoine en investissant le capital et en ne dépensant que les revenus qu’il produit. Cette approche a l’avantage d’aplanir les énormes fluctuations dans les revenus des ressources naturelles tout en créant un actif qui peut être investi dans des projets qui assurent des bénéfices à long terme tels que de véritables infrastructures, la recherche médicale, et des dotations pour nos écoles, nos collèges et universités.
Remporter la bataille qui les oppose à Ottawa concernant les ressources au large des côtes est une affaire importante pour la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve. Des milliards de dollars sont en jeu. Mais la bataille pour la maîtrise des dépenses est au moins aussi importante. Lorsque le patrimoine au large des côtes aura disparu, les gouvernements devront pouvoir rendre compte de plus que des seuls engagements de dépenses non durables.
L’auteur est président de Atlantic Institute for Market Studies (aims.ca) groupe de réflexion sur la politique publique basé à Halifax.