Le jeudi 15 mars 2001
Le Devoir
Comment le Canada traite le Québec: Landry se plaint pour les mauvaises raisons
Brian Lee Crowley
Président de l’Atlantic Institute for Market Studies, un centre
d’étude sur les politiques publiques basé à Halifax
Michel Kelly-Gagnon
Directeur exécutif de l’Institut économique de Montréal
Bernard Landry a raison de se plaindre de la façon inéquitable dont le Canada traite le Québec mais les raisons qu’il cite ne pourraient être plus fausses.
Récemment, le nouveau premier ministre du Québec se débattait comme un diable dans l’eau bénite pour expliquer comment une nouvelle somme de péréquation de 1,5 milliard n’était qu’un autre affront à l’orgueil de la province. Le Québec, a-t-il soutenu, est une région pauvre à l’intérieur d’un pays riche, mais l’indépendance en ferait rapidement une nation prospère. La péréquation, selon lui, ne ferait que quantifier la perte que subit le Québec à l’intérieur du régime fédéral.
Le message sous-entendu est que le Québec possède la bonne recette pour faire bouillonner l’économie mais que les assaisonnements excessifs des marmitons d’Ottawa gâtent la sauce. Le secret de cette recette, celle du fameux Québec inc., n’est rien d’autre que le contrôle de l’économie par une poignée de sociétés d’État et d’entreprises privilégiées. Le rôle de l’État québécois, chef de cette curieuse cuisine, est de tout contrôler par le biais de subventions, d’une réglementation écrasante et d’un régime fiscal manipulateur. Québec veut ainsi substituer son jugement à celui des investisseurs et des gens d’affaires lorsque vient le temps de décider du mouvement des capitaux et de l’emploi.
Le problème du Québec, en fait, ne tient ni au fédéralisme ni à la souveraineté mais plutôt à l’échec profond de cette recette économique. L’approche Québec inc. serait impossible à maintenir si Ottawa ne comblait pas le manque à gagner que produisent les politiques de la province. La vraie faute du fédéralisme, c’est d’empêcher les Québécois de réaliser le coût de leurs politiques provinciales en les occultant sous le rideau des transferts fiscaux d’Ottawa.
Il convient ici de rappeler l’histoire récente: la montée du nationalisme québécois a contribué à une redéfinition du rôle de l’État, tant fédéral que provincial. Ottawa et Québec se livrent depuis à une surenchère pour gagner les faveurs politiques des Québécois francophones. La pluie de subventions qui s’est ensuivie a modifié de façon insidieuse la relation entre les secteurs privé et public.
L’interventionnisme de l’État a aussi été encouragé, dans d’autres parties du Canada, par tout un pan de la classe politique qui a souscrit aux idées sociales-démocrates ou qui les a empruntées. Ces idées ont été représentées, à l’ouest, par le NPD et, à l’est, par les ailes gauche et pragmatiste des deux grands partis traditionnels. On ne manquera pas de noter que l’État-providence a reçu sa consécration dans la mythologie nationale sous le règne de Pierre Elliott Trudeau.
Cherchant à s’assurer l’affection des électeurs, Ottawa et Québec sont devenus beaucoup plus interventionnistes. Comme le relate Jean-Luc Migué dans son bouquin Étatisme et déclin du Québec, publié l’an dernier, les politiciens se sont mis à voir les dépenses publiques d’un bon oeil, non pas en raison des avantages réels qu’elles rapportaient à la société mais plutôt à cause de la dépendance politique qu’elles créaient. Au Québec, le secteur privé, jadis dirigé en majeure partie par des anglophones, a perdu de son importance et de son prestige aux yeux des gouvernants provinciaux, plus entichés de leurs institutions publiques, contrôlées par une majorité francophone. Il est spécialement intéressant de noter que la péréquation a mis d’importantes ressources entre les mains de l’État québécois, en grande partie aux dépens des contribuables des provinces de l’Ontario et de l’Ouest en général. Et plus le secteur privé québécois déclinait, plus les transferts augmentaient, contribuant à l’aggravation du problème.
Déjà, pendant les années 70, les analystes soulignaient que la péréquation, par exemple, déchargeait le Québec du coût de ses politiques destructrices, notamment son salaire minimum, nuisible à la compétitivité mais politiquement rentable. On peut faire le même commentaire à propos du fardeau fiscal éreintant qui chassait les entreprises et les hauts salariés.
Par voie de conséquence, l’État québécois a de plus en plus accaparé les décisions économiques à l’intérieur de la province. Récemment, il s’est mis à distribuer des subsides à la volée pour tenter de séduire les investisseurs. Bref, les politiciens québécois utilisent l’argent des contribuables d’autres provinces pour dédommager les entreprises lésées par le contexte économique peu attrayant que créent les politiques dirigistes du Québec. Selon des recherches de l’Atlantic Institute for Market Studies, l’État québécois a distribué, en 1998, la somme incroyable de 3,18 milliards en subventions aux entreprises, tandis que les subsides versés par les neuf autres gouvernements provinciaux combinés ne représentaient que 2,2 milliards. Et comme le savent si bien les citoyens de Shawinigan, Ottawa y va aussi de ses propres subventions: les subsides fédéraux et provinciaux par employé du secteur privé au Québec dépassent ainsi la moyenne canadienne par une marge de 75 %.
Les provinces de l’Atlantique ont subi de lourds dommages indirects découlant de cette surenchère de la taxation et des dépenses entre Ottawa et Québec. L’État fédéral, en effet, est tenu d’appliquer ses programmes à l’ensemble du pays. C’est ainsi que les programmes de développement régional, transferts fiscaux et autres béquilles économiques, qui ont amené l’économie québécoise à boitiller, ont aussi eu pour effet de paralyser l’économie des provinces maritimes. Cela n’a pas empêché une partie de la classe politique de ces provinces de jouer aux pères Noël alors que les subventions ne faisaient que miner l’économie atlantique. Les transferts fiscaux massifs n’ont fait que reporter le jour fatidique où nous devrons faire face aux douloureuses solutions alternatives nécessaires à la création d’un contexte économique propice à l’investissement et à la productivité. Notre message à Bernard Landry: si l’État tentaculaire pouvait réellement régler nos problèmes, ceux-ci auraient été résolus il y a belle lurette.
Et que retirent les Québécois de ces décennies de surenchère destinée à gagner leurs faveurs politiques? Selon des recherches récentes de l’Institut économique de Montréal, une économie perd 1 % de son potentiel de croissance, chaque année, chaque fois que les dépenses publiques augmentent de 10 %. Partant de là, l’Institut économique de Montréal estime que le produit intérieur brut du Québec, en 1998, aurait été supérieur de près de la moitié – c’est-à-dire qu’il aurait atteint près de 50 000 $ de plus pour une famille de quatre personnes! – si les dépenses publiques d’Ottawa et de Québec étaient restées au niveau de 1971 par rapport à l’ensemble de l’économie.
Bernard Landry aime bien citer comme modèle le miracle économique de l’Irlande, un petit pays souverain qui connaît, depuis quelques années, une croissance phénoménale. Malheureusement, comme le démontre l’économiste Fred McMahon dans son ouvrage Road to Growth, le Québec est loin de suivre l’exemple de l’île verte. Ainsi, entre 1987 et 1989, l’Irlande a ramené le niveau des dépenses publiques en deçà de 40 % du produit national brut – alors qu’il était auparavant de 50 % – et a réduit le fardeau fiscal à moins d’un tiers du PNB au lieu des 40 % antérieurs. Ces décisions ont marqué le début d’une prodigieuse renaissance économique.
Le cas de l’Irlande démontre que les Québécois ont entre leurs mains l’avenir de leur économie. Le meilleur moyen d’assurer un avenir plus prospère à la Belle Province n’est pas de la rendre indépendante d’Ottawa mais plutôt de la rendre indépendante de l’État tout court, le provincial comme le fédéral. Le même message peut très bien s’appliquer à l’ensemble du Canada.
©Le Devoir 2001